En tant qu’aficionado de la comédie musicale et après nous avoir régalés avec Edges, le talentueux Stéphane Ly-Cuong remonte à l’Auguste Théâtre son Cabaret Jaune Citron, inspiré par ses racines vietnamiennes. Ce spectacle rafraîchissant comme un agrume questionne la notion de double culture et s’intéresse à la quête intérieure menée par une jeune femme afin de découvrir qui elle est réellement. Clotilde Chevalier se montre merveilleuse dans le rôle principal, à la fois touchante et incroyablement drôle. Vous sortirez de cette comédie musicale intimiste avec « la pêche et la banane » !
Yvonne Nguyen est une jeune femme paumée. Perdue entre la France, son pays d’accueil et le Vietnam, la terre de ses parents. Rêvant de devenir une étoile de la scène, Yvonne se heurte à une mère désireuse de la voir évoluer dans une carrière médicale. Brimée depuis l’enfance pour ses yeux bridés et ses origines asiatiques, cette trentenaire voit ses espoirs peu à peu partir en fumée face à la dureté des stéréotypes. Un voyage au pays de ses ancêtres l’aidera à trouver son propre chemin identitaire, la ramenant apaisée.
Le spectacle s’appuie sur une mise en scène d’une sobriété poétique de bon aloi. La petite salle de l’Auguste Théâtre offre une configuration idéale pour observer les mimiques et les facéties des trois acteurs/musiciens/chanteurs. Des lampions, de l’encens et un chapeau conique (à l’origine d’ailleurs d’une danse rigolote comme tout) suffisent à nous transporter au Vietnam, terre culturelle riche tant au niveau de la gastronomie (les fameux nems, les raviolis vapeurs ou le nuoc mam) que de sa langue, difficile à assimiler (le même mot peut avoir six significations selon l’intonation…). Les différentes chansons entonnées séduisent par leur diversité thématique : on passe du rire au larme en fonction du morceau interprété. « La Leçon de vietnamien » est à hurler de rire tout comme « Yoko Ono » où Yvonne se moque des clichés masculins en référence aux femmes asiatiques. Comparées à des tigresses, des masseuses thaï, des rouleuses de raviolis ou des prostituées chinoises, les Asiatiques sont ravalées au rang de fantasmes exotiques. À travers cette satire féroce des projections européennes sur les Asiatiques, Stéphane Ly-Cuong distille avec humour les nombreuses moqueries dont souffrent ses compatriotes. Autre chanson fort réussie, celle où Yvonne évoque son goût prononcé pour les comédies musicales ayant bercé son enfance. Clotilde Chevalier fait le grand écart, se croit à Broadway et nous embarque avec elle avec malice. Le résultat est piquant, vif et acéré.
L’émotion pointe également, notamment lors de l’évocation de cette légende ancienne que la mère d’Yvonne avait l’habitude de lui lire le soir. Ce prince Dragon qui fonde une famille avec la fille du roi ennemi illustre la séparation déchirante endurée par cet être hybride. « Notre Histoire » nous emmène au temps d’un Vietnam mythologique et rêvé. L’autre moment choc et touchant du spectacle intervient à la fin, lorsque la jeune femme honore la mémoire de ses grands-parents dans un village au sud de Saïgon.
Ce cabaret mêle donc humour et sensibilité avec brio : la construction du spectacle, en forme de one woman show, tourne autour de la fantastique Clotilde Chevalier. Éblouissante dans le rôle d’Yvonne, la comédienne nous confie sans ambages l’expérience du rejet dont elle est victime sur un ton détaché d’autodérision savoureux. Faisant preuve d’un don comique inné, la performeuse prouve aussi qu’elle peut être poignante. Une révélation en or. N’oublions pas Tanguy Duran, incarnant son frère protecteur Laurent, qui malgré une voix moins assurée, témoigne d’une belle complicité avec Clotilde Chevalier. Enfin, Ayano Baba, superbe pianiste, campe une mère pince sans rire mais aimante avec un abattage réjouissant.
Ainsi, Cabaret jaune citron se déguste comme une glace acidulée, délicieuse et piquante à la fois. Cette comédie musicale au thème peu abordé nous invite à réfléchir sur la notion d’héritage et d’identité avec beaucoup de légèreté zestée d’émotion. Un spectacle à voir absolument jusqu’au 23 mars ! ♥ ♥ ♥ ♥ ♥
Lundi 10 février
Thomas Ngô Hong | Hier au Théâtre